(hyacinth) careful what you wish for

Le sang contre les doigts qui lui manquent. Le besoin de combler le vide. Le besoin de ne plus penser à lui. Le fétiche envolé. Le préféré disparu. Les attaches ne lui ressemblent pas, que les cadavres qu’il sème, que le loup pour semer le chaos, que le monstre pour disséquer les corps, pour assouvir la vengeance. Un an sans tuer. Un an sans voir la peur au fond des billes masculines. Rien pour lui plaire. Rien pour le tenter. Rien pour le séduire. Une proie dont il a besoin. Un homme à même de céder aux charmes, un homme pour vider la hargne.
Passé qu’il méprise, contacts grivois dont il se souvient, ancré dans son esprit, brûler à vif sur la chair, sur la moindre parcelle de son épiderme. Besoin d’une victime pour ne pas être comme lui. Une victime à tuer. Une victime pour se défouler.

La demeure qu’il quitte. Antre dans lequel il s’enferme depuis des années. Trop grande pour un seul homme, mais incapable d’être étouffée entre les murs étroits. Cette impression de tomber. Cette pression sur le torse qu’il ne supporte pas. Les espaces clos qui le rendent fou. La peur qu’il ne contrôle pas. Les faiblesses du monstre. Trop de temps enfermé. Trop de temps contraint à attendre les sentences. C’est lui qui sème la mort. C’est lui qui prend sans demander.
Pas depuis un an. Pas depuis son départ. Personne pour l’intéressé. L’adoré qui a fini par s’enfuir lorsqu’il a fait miroiter le choix. Personne pour l’aimer, personne pour aimer un monstre comme lui.
Le monstre qui s’enfuit. Le monstre qui finit par respirer l’odeur du soir, les odeurs qu’il n’a respirées que par nécessité, pour obtenir ce don il avait besoin pour survivre. La traque ce soir. Un bar qu’il a cru remarquer. L’endroit parfait pour trouver un homme à approcher, un homme à faire entre dans sa demeure pour le briser, pour le couper, pour le détruire.
Le monstre qui pénètre. Le monstre qui cherche. Une proie intéressante. Une proie à même de capte l’attention. Rien. Rien pour lui plaire. Pas autant que lui. Foutu gamin qui se glisse dans la moindre parcelle de son esprit. Un homme qu’il finit par approcher. Pas comme lui. Pas aussi intéressant. Curiosité morbide pour la victime encore en vie.
Quelques touchers qui lui crèvent le cœur, qui lui donne envie de vomir. Les attirances qu’il n’accepte pas, les hommes qu’il n’attire pas dans son lit. Les femmes qu’il prend, mais les femmes qui n’arrivent pas à le satisfaire. Souffle au cou. Les mensonges qu’il sait tisser. Des années qu’il joue ce jeu. Des années qu’il s’amuse des autres.

L’autre qui se laisse séduire par le prédateur. Cette envie de tuer qui reprend, mais l’autre qui ne sait pas capter l’attention. Pas autant que lui. Il s’approche. Les doigts de l’inconnu qui se fait trop insistant et la rage qui remonte, la rage des envies qu’il n’accepte pas. Les envies qu’il ne doit pas ressentir.
La lassitude qu’il ressent. La rage qui se percute au reste. Le manque de sensation. Le regard qui se détourne et se heurte à la silhouette connue. L’homme adoré. L’homme disparu. Sensation qui percute le torse. L’autre qu’il délaisse. L’autre qu’il oublie. Rien d’intéressant. Pas comme Hyacinth. Attirance dégoûtante. Attirance qu’il n’accepte pas. Attirance qu’il ne peut pas ressentir. Pas autant. Pas pour lui. Un homme.
Les pas qu’il imprime dans le sol, le corps qui s’approche au dos et souffle contre la nuque. « La seule victime encore en vie.» Il parle de lui. Le seul à avoir survécu. Le seul encore vivant. Le seul pour trop de choses qu’il ne peut comprendre, avouer et assumer.

Londres la superbe, Londres qui grouille, toujours affamée des âmes qu’elle peut récolter. C’est un retour depuis peu. Depuis la libération sous condition. Animal rejeté à la rue, offert pour d’autres crocs assassins. Il a choisi Hyacinth. La vie plutôt que de côtoyer les morts, la vie plutôt que la dépendance à la folie naissance. Le crâne devient une bombe à retardement, tic-tac qu’il entend, tic-tac les rouages qui menacent d’abandonner. Il ne sort plus de l’appartement loué, d’une possession grandiloquente qui lui assure de ne pas se sentir seul. Ce n’est pas pour le paraître, ce n’est pas pour impressionner la plèbe, ce n’est qu’une peur. Une volonté de contrer l’horreur de la solitude, des quatre murs froids. Au rappel de ceux où il a vécu pendant des mois. L’appartement déborde de possessions qui ne sont pas à lui, d’une décoration ordonnée par téléphone, d’un inconnu qui s’est chargé de tout. Il ne reconnaît rien. Pas un élément qui lui appartient. A l’impression de vivre dans un catalogue, une jolie vitrine. Hyacinth passe les journées sur le canapé, ou assis à  bureau, à trier, retrier les papiers, à découper les journaux, d’une presse internationale qu’il lit sans difficulté. C’est la recherche maladive d’informations. Syndrome certain que l’autre a déclenché, un nom qu’il se refuse à prononcer – à croire que le nommer le ferait apparaître ici. N’est-ce pas ce qu’il voudrait ? Le revoir ? La question n’est pas à poser. Mais les faits sont là. L’image est imprimée à sa mémoire, l’odeur ancrée, la maladie rognant sous les chairs. Cadeau qu’il lui a laissé. La plaie au corps, le Y qu’il ne peut pas regarder sans se rappeler des coups portés.

Un manteau qu’il glisse à ses épaules, trop grand. Homme devenu trop maigre. Le poids d’un tissu qu’il peine à porter. L’extérieur est devenu une souffrance, les bruits, ces conversations qu’il ne souhaite pas entendre. Mais c’est la curiosité qui reprend le dessus. Des vies au dehors. D’eux qui ignorent, vivent sans savoir les monstres qui se faufilent dans leur dos. Il aurait envie de dire à cette femme qu’un homme la suit depuis trois rues, ou à cet enfant qu’il finira dans les griffes d’un loup. Aucune parole. Hyacinth regarde, n’agit jamais. Pas de courage, pas de volonté. Les vies sont extérieures à la sienne. Aucun impact. Aucune utilité à les sauver. Il s'éloigne de l'appartement. A ne plus savoir quoi faire. Les journées où il s'absente dans ses pensées. Les nuits à vagabonder sur le balcon. Londres est une ville connue, celle de son enfance, il ne peut pas se perdre, il ne peut pas prétendre à prendre à gauche et à oublier son chemin. C’est le retour dans un bar apprécié. Là où cogne la musique à s’en décoller un tympan. C’est parfait pour ne plus penser. Il attend un verre au bar. Toujours un bourbon. Pour l'effet d'une gorge qui se délite. Soupçon de souffrance adoré. Un sursaut qu'il marque au corps contre lui. Pas un adepte des contacts. Pas un adepte des relations humaines. A ne pas savoir comment se comporter. Les mains se posent sur le bois. Se resserrent. Il n'a pas attendu la voix depuis des mois. Mais il se souvient. Les murmures maladifs. A l'impression que la cicatrice est de nouveau ouverte. Plaie béante. Un tremblement qui agite le corps. Homme à l'agonie des souvenirs. Fureur. « Vous venez parachever l'œuvre ? » Le vouvoiement alors qu'il s'était octroyé le tutoiement. Les liens qu'il éclate. C’est une provocation. A ne pas savoir quoi répondre d’autre. La main se serre sur le verre, à l’envie de l’éclater sur le crâne de l’autre. Juste une illusion. Il n’est pas là. N’est-ce pas ?! Ce n’est que l’alcool qui parle. « Je n’ai pas envie… de parler. Je ne sais même pas si vous êtes là ou une conséquence de l’alcool, la solitude me convenait bien » Un étranger, lui, un fantôme ? C’est la confusion. Il ne se retourne pas lorsqu’il s’éloigne pour rejoindre une table.  

L'oeuvre inachevée, mais l'intérêt trop piqué pour le tuer et le manque de souffrance à même de le lasser. L'homme torturé pendant des jours, rien à lui donner, rien à lui offrir, que l'intérêt plus grand, que l'envie de le garder en sachant qu'il allait s'enfuir au moindre espoir de fuite. L’ego brisé. Le monstre déçu. Le parfait enfui, l'adoré envolé sans pouvoir le retenir. L'erreur au parcours et les faiblesses exposées. Ne pas aimer les hommes. Ne pas changer à cause d'un homme à même de l'avoir torturé pendant des années.
L'ombre qu'il reconnait. Les formes du corps qu'il sait par coeur. Le visage gravé dans la moindre parcelle du crâne et l'amour qu'il n'assume pas. Lui différent des autres. La vie qu'il garde encore et la vie qu'il n'a pas envie de lui retirer. L'avoir pour lui. Près de lui. Un élève. Il ne sait pas. Cette envie de le revoir, mais les recherches qu'il n'a pas menées, parce que c'est une faiblesse pour lui, c'est un côté qu'il n'accepte pas. Aimer les hommes. Ça le dégoûte. Frisson d'horreur à l'échine. Lui dans le dos. Les réactions du corps qu'il remarque et le souffle qu'il jette à la nuque. « Vous venez parachever l'œuvre ? » Non. Il ne croit pas. Il ne sait pas. Il ne sait pas ce qu'il fait en s'approchant de lui, en essuyant le refus de l'autre. Ça ne lui plait pas, mais le visage reste froid, le sourire qui glisse contre les lèvres. « Non.» L'envie qui gronde dans la moindre parcelle de son crâne, de sa peau. Ça se percute. Ça n'a rien de simple. Des envies qui le dégoûtent. Des envies de le garder près de lui, le seul à faire naître plus que les envies de tuer, de calmer les maux du passé.

« Je n’ai pas envie… de parler. Je ne sais même pas si vous êtes là ou une conséquence de l’alcool, la solitude me convenait bien » Le corps qui se détache, qui s'approche du bar pour laisser les billes sombres observer les traits. Les traits gravés au fond du crâne, dans la moindre parcelle de pensées. La main qui attire l'attention de la serveuse, femme banale, femmes ne se contentent que de faire naître l'ennui au fond du crâne, que des envies fausses qu'il tente de s'associer. Il sait la vérité. Il sait que les préférences sont différentes, mais il n'assume rien, se contente de briser, se contente du chaos et de se venger pour le passé ravagé.
Lui. Lui qui a su survivre au monstre, qui est encore debout et que Jarek aurait préféré garder auprès de lui. Incapable de décider. Incapable d’assumer. Quelques billets qui se posent contre le comptoir alors qu’il attrape le verre tendu, le verre qu’il porte aux lèvres pour calmer les esprits, pour calmer les envies. Lui qu’il aime d’une étrange façon. Lui qu’il adore. Verre aux lèvres, l’alcool qui brûle la gorge et lui dont il ne se détache pas, le regard qu’il n’arrive pas à défaire. « Ce n’est pas l’alcool. Je suis à Londres depuis un an. » Souffle. La voix qui se perd. Une autre gorgée d’alcool pour anesthésier le passé, les sensations qu’il ne veut pas ressentir. Lui fasciné par le gamin. Lui qui ne sait calmer l’excitation qui s’agite au fond des entrailles. « Vous avez honte de la montrer? » Le doigt qui pointe la marque au corps, le vestige du temps passé avec lui, les tortures qu’il a pu offrir et les jeux qu’il aime jouer. Il parle d’eux. La distance qu’il n’amenuise pas. Lui qui reste là. Lui qui ne compte pas partir. L’autre qu’il a envie de garder, d’apporter avec lui, mais il ne fait rien. La lute avec lui-même. La lutte avec les envies.