{that tears have drawn your dreams}« Je suis enceinte. » À l'autre bout du fil, je sentais que les larmes coulaient sur ses joues en m'annonçant la nouvelle. Sa voix était tremblante, elle redoutait sûrement ma réaction. Je restais figé sur place quelques secondes et à cet instant, j'étais content qu'elle me l'apprenne par téléphone. La plupart des gens préfère recevoir ce genre de nouvelles face-à-face, mais vu la tête que je faisais, c'était mieux qu'elle ne voit rien. Pendant un instant, j'osais espérer que tout cela n'était qu'une fausse blague. Nous venions tout juste de passer le poisson d'avril, mais vaut mieux tard que jamais non ?
« Jay ? Dis quelque chose s'il te plait. » Il était difficile de mettre un émotion sur ce qui se passait en ce moment, mais j'étais loin de sauter de joie. Nous avions seulement dix-neuf ans et même si nous n'étions plus au lycée, mais nous avions notre vie. J'avais finalement été admis dans une équipe de football dans une ligue junior, ma vie commençait à prendre un sens. Tous les deux, nous étions loin d'être rendus à cette étape dans notre vie - et dans notre relation aussi. J'aimais bien Katherine, mais je savais qu'entre nous, ce n'était pas pour toujours. On s'appréciait, mais je crois qu'au fil du temps, tout ça n'était qu'une bonne amitié. Sauf que nous, on couchait ensemble. Fondé une famille avec elle... c'était bizarre à imaginer.
« Et bien... tu veux faire quoi ? » Lui dire qu'avoir cet enfant était une mauvaise idée n'était probablement pas la meilleure chose à faire. Je lui remettais le choix, parce que j'avais peur de prendre une décision qui risquerait de la fâcher et de l'obliger à faire quelque chose qu'elle ne voudrait pas. Je savais que je risquais gros, mais rien n'arrive pour rien. Kat était contre l'avortement. Apparemment, tuer un fétus équivalait à tuer un humain. Même si je n'étais pas d'accord avec cet argument, je ne me débattais pas. Encore un peu sur le choque, je n'étais pas dans le
mood. Je restais silencieux tandis qu'elle m'énonçait les avantages et les désavantages de tous les scénarios. Trop d'informations en même temps, je commençais à en avoir mal à la tête. Le verdict était donné, l'enfant allait voir le jour. Annoncé la nouvelle à mes parents fut simple. Ces derniers m'ont toujours soutenus et jamais ils ne me jugeront.
« Apprend de tes erreurs ! » avait l'habitude de dire ma mère lorsque je faisais une connerie. Cette fois-ci, je pensais me faire engueuler, mais non. Ils n'étaient pas heureux de la situation non plus, mais il respectait mon choix. Du moins, celui de Katherine.
« Es-tu certain que tu es prêt ? » J'avais posé mon regard sur mon père, comme si j'avais peut-être une porte de sortie.
« Ça devait arriver un jour ou l'autre. » Ce n'était pas un
« oui », ni même un
« non ». Je me disais que j'allais m'y faire et que l'idée allait me sembler bonne d'ici quelques mois. Notre sous-sol s'était transformé en appartement Kat, le bébé et moi. Chose qui avait plus à mon petit frère, car il a hérité de la plus grande chambre. J'apprenais à vivre avec Katherine, même si parfois, ce n'était pas ce qui avait de plus simple à faire, mais bon. Je jouais toujours au football, tout en ayant un métier à temps partiel, le temps de me faire un nom dans le sport et de finalement pouvoir jouer professionnellement. Mon rêve était bien la seule chose que je ne voulais pas perdre dans tout ça.
Être père peut être demandant, épuisant, frustrant, mais ce n'est que lorsque je la regarde coucher dans sa berceau et qu'à son tour, elle pose ses yeux ronds sur moi avec un sourire, que je réalise à quel point c'est la plus belle chose au monde. Tu tombes amoureux instantanément. J'ai beau être en colère de me réveiller pour la millième fois en plein nuit, mais dès que je la vois, un sourire se glisse sur mon visage. Pour ce que est de ma relation avec sa mère, à chaque jour, ça se détériorait. Elle m'en voulait pour tout et ne se gênait pas de me laisser savoir.
« J'en ai marre de rester seul à la maison avec la petite pendant que monsieur s'amuse avec sa bande de copain à frapper dans un ballon. » « Excuse-moi de penser à mon avenir, à notre avenir! » « Et moi dans ton ça, hein ? Je dois abandonner mon rêve pour que tu vives le tien. C'est comme ça que ça marche ? » « Je ne t'ai rien demandé, ne me blâme pas pour tes propres choix. » Elle est celle qui avait décidé d'avoir cet enfant, celle qui voulait que l'on forme une famille, celle qui avait décidé d'abandonner tout pour devenir mère. Tout ce que je faisais, c'était la soutenir et elle osait tourner ça contre moi. Quelques jours plus tard, je suis arrivé chez moi et elle n'était plus là. Son départ ne m'avait pas affecté, du moins, pas niveau émotionnelle. Comme je l'ai déjà précisé, je ne l'aimais pas de la façon que j'aurais dû. Notre relation n'existait que pour Hazel. Cependant, le fait qu'elle ne soit plus avec nous avait eu des répercussions sur ma vie. Je dû laisser tomber ma carrière de joueur de foot pour prendre ce temps et le consacrer à ma petite fille. Mes parents étaient là pour m'aider, mais je ne voulais pas en abuser. J'avais commencé à économiser afin de pouvoir déménager. Je n'allais quand même pas vivre dans un sous-sol toute ma vie. Je faisais donc des heures supplémentaires au boulot, mais avec le salaire que je faisais, j'étais loin de pouvoir me payer un appartement et de nous faire vivre tous les deux. Et puis, un jour, un de mes potes m'avaient approché avec sa compagnie de paysagement. Pourquoi pas ? C'était toujours mieux que de bosser en tant que gérant à la boucherie du coin. Grâce à ce nouveau job - et plus précisément, nouveau salaire - je pus enfin quitter le foyer familiale pour un vrai appartement. Tout semblait se placer et s'améliorer, même si au fond, j'ai l'impression de perdre mon temps. Je sais que je ne devrais pas me plaindre de ce que j'ai, il y a des pires, mais quand même. J'ai toujours cette voix qui me dit
« Et si j'avais ? ».
Je débarquais dans mon appartement en titubant jusqu'à la cuisine pour m'installer sur une chaise. Ma tête tournait légèrement. Depuis quelques temps, j'avais la manie de passer au bar après le boulot et de caler quelques bières avant de prendre le taxi pour revenir à la maison.
« Tout va bien ? » Je relevais la tête pour y trouver Ariel, la babysitter, qui semblait concerné par mon état. Pourtant, ce n'était pas la première fois qu'elle me voyait ainsi. J'avais rencontré la jeune fille au parc, l'année d'avant. Elle n'avait que seize ans, mais était assez mature pour son âge. En tout cas, elle l'était plus que moi qui en avait vingt-cinq. Hazel l'adorait et avec le temps, je commençais à m'attacher aussi. Elle passait tout son temps avec nous, à la demande de la petite bien entendu. Je haussai les épaules avant de deposer ma tête entre mes mains.
« J'ai juste la tête qui tourne un peu trop, mais sinon, ça baigne. » « Allez, on va te mettre sur le divan, tu seras beaucoup mieux installé. » Pas faux. Je la laissais me trainer jusqu'au canapé pour m'y déposer doucement avant d'aller me chercher un verre d'eau.
« Ari. Ta journée est terminée, t'es pas obligé de rester. » Je n'aimais pas qu'on me voit dans cet état, ça me donnait l'air d'un con.
« Je ne vais pas te laisser seul comme ça. Et puis, ça me fait plaisir. » Elle avait pris place à côté de moi et commençait à me poser des questions. Je ne savais pas si elle ne faisait que ça par politesse, mais elle semblait vraiment intéressé. Poussé par l'alcool, j'y répondais en me confiant à elle, ce qui était une première. Tout se passait bien, jusqu'à ce que je m'étais donné la permission de l'embrasser. Sobre, je n'aurais jamais osé. Elle avait seize ans quoi. Encore une adolescente, nos neuf ans de différence paraissaient énormes et c'était le cas. Le lendemain, j'étais honteux, gêné devant cette situation malaisante. Cela dura quelques semaines, mais après un moment, je n'en pouvais plus. Pas que sa présence me dérangeait, mais je pouvais sentir le malaise et le pire dans tout ça était que j'avais apprécié ce moment avec elle. C'était mal, mais c'était ainsi.
« Écoute Ariel... J'apprécie vraiment ce que tu as fait pour Hazel et moi, mais je crois que nous allions nous débrouiller seul dorénavant. » Je me sentais mal de devoir faire cela, mais je n'avais aucun choix. Je prenais peut-être cela trop au sérieux, mais j'étais comme ça. J'imagine toujours le pire de toutes les situations.
« T'es sérieux ? Tout ça à cause d'un simple baiser ? » « Ce n'est pas aussi simple que ça. » Elle ne pouvait pas comprendre. À ses yeux, ce l'était peut-être, mais pour moi, c'était plus que ça. Suite à cela, elle est partie faire ces trucs de son côté et moi du mien. Bien entendu, Hazel était tout sauf ravi d'apprendre que sa meilleure amie n'allait plus la garder. Je ne croyais plus la revoir, même que j'en avais un peu oublié son existence et ça, jusqu'au jour où je m'étais blessé le pied en y échappant une roche assez grosse et assez lourde. Ridicule, mais affreusement douloureux.
« Jayden ? » Et le comeback. Assis sur le lit d'hôpital, elle fit son entré dans la chambre dans un habit d'infirmière. Elle avait un sourire sur les lèvres, ce qui signifiait qu'il n'y avait plus de malaise. En même temps, après douze ans, ça serait bizarre de l'être encore.