petit oiseau, si tu n'as pas d'ailes...

Rafael avait rejoint son ami à Covent Garden, sur Wellington Street, en face de Byron, un de leur restaurant habituel. Il n'y a pas de meilleur endroit pour manger un burger, sauf peut-être le stand de la petite écossaise à Camdem Lock. Rafael et Thom pouvait passer des heures à déambuler sur la petite place toujours bondé, où se collent l'un à l'autre des stands de nourriture de toutes les nationalités imaginables. Libanaise, jamaïcaine, française, mexicaine, russe, ils pouvaient faire un tour du monde gastronomique dans un des quartiers les plus vivants de la ville et il n'y avait rien de mieux.
Le jeune homme était en train de se goinfrer en prenant une énorme bouchée de son burger quand Thom lui tendit une annonce. Des auditions devaient se tenir dans quelques jours à Londres et l'annonce recherchait de jeunes comédiens pour un rôle. Rafael continua à mâcher tout en lisant le papier qu'il avait tiré près de lui. Il regarda successivement l'annonce, puis son ami, avant de comprendre ce que Thom lui proposait.
« Oh bordel, t'es sérieux ? Tu veux que je t'aide à te préparer ? ». Rafael ne perdait jamais une occasion de pouvoir faire du théâtre. Il posa son burger dans l'assiette et la poussa, prenant l'annonce dans sa main droite tout en léchant les doigts de l'autre main. « Attends, je connais cette pièce en plus, on a du la faire une fois, non ? Avec Schrafter. Tu vas les détruire ». Il ne perdait pas une occasion de faire de répéter, mais Rafael ne disait pas non pour passer un peu plus de son temps libre avec Thom non plus.
Rafael l'avait connu lorsqu'il s'était inscrit aux cours du soir de Schrafter, « un comédien incompris » selon ses propres mots, un comédien raté selon d'autres, mais qui avait un talent certain et une passion débordante pour le théâtre.
« Non, JE ne vais pas auditionner. TU vas auditionner ». Rafael reposa l'annonce. Il sentit son cœur s'accélérer légèrement, tout comme sa respiration. Il ne pouvait pas, Thom le savait.
« Je vais pas pouvoir, j'ai à peine le temps pour les cours de Schrafter en ce moment, mon père est sans cesse sur mon dos, et Ewan – » commença Rafael, avant de se faire interrompre par Thom.
« Merde, c'est la troisième fois que tu trouves des excuses, cette fois-ci je te laisse pas le choix. Tu vas pas continuer ce stage à la con, sauf si tu veux encore perdre ton temps ».
Rafael continua à écouter Thom. Il y a quelques heures, Vovan lui avait proposé de devenir l'assistant d'un des avocats du cabinet. Le stage n'avait pas été aussi terrible que cela, le travail avait été intéressant, et Rafael s'était même surpris à apprécier ce qu'il faisait. Il avait envie d'accepter l'offre de Vovan, même si ce con en avait préalablement parlé à Papa Reed. Il n'avait pas le choix d'accepter, son père le lui ferait comprendre, mais pour une fois, Rafael avait réellement envie de le faire. Thom lui proposait d'aller un peu plus loin dans la réalisation de son rêve. Une audition. Rafael n'avait jamais eu le courage avant de le faire, se contentant des cours de Schrafter et d'aider Thom à répéter ses pièces. Thom savait ce qu'il voulait réellement, mais Rafael, lui, ne savait plus vraiment.
« Écoute ... » commença-t-il en croisant le regard de son ami. « Thom, bordel, je voudrais vraiment … Mais je peux pas. »
« Ça t'arrive d'avoir des cou*lles au cul, merde ? A part celles des mecs qui te baisent, je veux dire ». Thom se pencha sur la table pour attraper l'annonce. Il la plia grossièrement et la remis dans sa poche. Il était énervé, ce qui énerva Rafael à son tour.
« Putain, je te demande pas d'être mon agent, mec, je peux pas auditionner, pas maintenant, c'est tout. T'as pas … t'as pas à faire tout ça pour moi. Tu comprends pas. » Rafael n'avait plus faim. Il jeta un coup d’œil à la table d'à côté, où une bande de gamines les regardaient, apparemment intéressé par l'engueulade.
« Non, non, je comprends rien, tu as raison ». Thom se mit à se lever, poussant la chaise derrière lui. « Mais je suis pas le seul à ne rien comprendre ». Il lui lança un derrière regard, jeta deux billets sur la table et sortit du restaurant sans que Rafael ne réponde quoi que ce soit.
« Je crois que l'autre est amoureux de lui ... », entendit-il une des gamines murmurer sans grande discrétion à la table d'à côté.